Recensie van “Les trois vies de Robert van Gulik” in Le Soir, 19 februari 1997
Les amateurs de la collection «Grands détectives» (10/ 18) connaissent bien les aventures du Juge Ti, fonctionnaire lettré de la Chine ancienne,précurseur du fameux «armchair detective», ce spécialiste de la détection en chambre assisté d’acolytes, hauts en couleur. L’auteur de ces romans policiers-savants était un personnage tout aussi fabuleux. comme nous l’apprend une passionnante biographie, récemment traduite: «Les trois vies de Robert van Gulik».
Né en 1910, il grandit aux Indes néerlandaises ou son père était médecin militaire. Il y contracte une passion pour les cultures de l’Extrême-Orient qui guidera toute son existence. Apres des études de chinois et de Japonais, — entre autres — il est nommé interprète à l’ambassade des Pays-Bas au Japon. Il épouse aussitôt la culture du pays: s’habille et mange comme un Japonais; prend une concubine et fréquente les salons de thé; s’initie à la calligraphie, à la peinture, et au luth chinois. Au hasard de ses missions, il apprend le coréen, le mongol, …
Vient la guerre, durant laquelle il travaille au renseignement, pour les Alliés. Ballotté au gré de l’évolution du conflit, de l’Inde à l’Afrique de l’ouest (ou iI apprend le swahili), de l’Egypte (ou il apprend l’arabe) à Singapour, il finit par rejoindre la représentation néerlandaise à Tch’ong-k’ing, dans le réduit où s’est reliée l’armée de Tchang Kaï-chek. Il y vivra comme un Chinois et y prendra femme…
L’homme était sans doute un génie, il voulait tout voir, tout apprendre, rencontrer tout le monde. Il casait sans peine six ou huit rendez-vous sur une journée, et remplissait les temps intermédiaires en travaillant à l’étude des vieux textes, ou à d’autres choses essentielles comme la poésie, la calligraphie, la gravure ou la musique. Mais il a aussi pondu au cours de sa vie quantité d’études, d’essais et de monographies — portant sur le gibbon en Chine ou l’illustration des livres au temps des Ming … Sans compter ses traductions, et son «vrai» travail. Car même s’il n’a jamais été un grand diplomate — ce qui ne l’intéressait pas — tous ceux qui ont travaillé avec lui reconnaissaient qu’il était le meillieur pour pénétrer une société étrangère. Il connaissait tout de la langue, de l’histoire, de la civilisation, de la vie, du mode de reflexion et d’action des Chinois, raconte son chef a Tch’ong-k’ing. Les rapports de van Gulik faisaient autorité dans la conduite de la politique orientale de son pays. Et, malgré tout cela, ou plutôt pour s’en délasser, il «invente» les aventures du Juge Ti.
En fait, son premier livre, «Trois aventures criminelles résolues par le Juge Ti», est la traduction (en anglais) d’un très ancien polar chinois: lassé de voir les jeunes auteurs japonais de romans policiers situer leurs médiocres histoires à Chicago ou New York, il décide publier sa version anglaise de «Dee Goong An», pour leur montrer que l’ancienne littérature chinoise pouvait leur fournir un matériel de haute qualité. Ce fut un succès pour van Gulik, mais l’entreprise rata son but premier: les auteurs locaux ne trouvaient pas la veine assez exotique. Van Gulik imagina alors, à partir de 1950, d’autres enquêtes du Juge Ti. Il écrivait généralement ses romans en anglais, puis les réécrivait lui-même pour l’édition en chinois et en néerlandais, mais préférait laisser la traduction en japonais à des personnes de confiance. Il y eut par la suite bien d’autres traductions — dont une en espagnol par le prince Bernhard des Pays-Bas.
Jusqu’à sa mort en 1967, van Gulik continuera à raconter les enquêtes du Juge Ti, Qui sont devenues des éléments essentiels de son existence: Ecrire un roman, c’est le troisième volet du triptyque de mon travail, une détente qui me permet de continuer à m’intéresser à la diplomatie et à la recherche. Une «détente» prise parfois très au sérieux par ses lecteurs: ainsi, le Département d’Etat américain imposa la lecture du Juge Ti à ses diplomates placés en Chine. Mais, on peut être un grand auteur, on n’échappe pas aux contingences du marché. Au début des années 50, la couverture du livre policier se devait á exhiber une jeune fille vêtue à la limite du scandale. C’était la règle, au Japon comme ailleurs. Quand van Gulik eut écrit son second roman, l’éditeur l’accepta à la condition qu’il paraîtrait sous une couverture aux couleurs vives montrant une femme nue. Toujours féru d’authenticité, van Gulik se plonge dans l’étude de l’art érotique chinois avant d’oser dessiner sans remords une femme nue dans le style des Ming pour orner la couverture de mon roman.
Marc Henry