Recensie van “Les trois vies de Robert van Gulik” in Dernières Nouvelles d’Alsace, 7 maart 1997
Personnage fascinant, Robert van Gulik, diplomate néerlandais, sinologue, japonologue, essayiste, est surtout connu pour avoir créé le juge Ti, juriste et investigateur de l’Empire du Milieu, protagoniste d’une passionnante série de romans policiers et de nouvelles.
Les auteurs de la biographie de Robert Hans van Gulik, Carl D. Barkman et Helena de Vries-van der Hoeven, (traduction du néerlandais par Raoul Mengarduque) sont tous deux sinologues et diplomates en Extrême-Orient. Ils ont bien connu «cet esprit universel s’il en fut, diplomate habile, grand érudit, sinologue distingué, bon calligraphe, et brillant auteur de romans policiers chinois célèbres dans le monde entier». En effet, ce diable d’homme, curieux de tout, ce polyglotte, ce grand amateur de femmes, ce collectionneur de dessins et d’estampes érotiques, ce fumeur impénitent — mort en 1967, à cinquante-sept ans, alors qu’il était toujours en mission diplomatique —, laisse derrière lui une œuvre riche et complexe, respectée par les érudits et les spécialistes des cultures et langues orientales, adulée par les amateurs de littérature policière …
Le juge Ti et ses trois épouses (vignette de Robert Hans van Gulik).
Son œuvre la plus ambitieuse et la plus remarquable est peut-être son travail sur la sexualité en vieille Chine. Un vaste travail dont une partie seulement a été publiée et dont une traduction a paru en traduction française, en 1971, chez Gallimard (La vie sexuelle dans la Chine ancienne). Quant au Juge Ti, ce personnage a été inspiré à Robert van Gulik par un magistrat non fictif de vieille Chine. La forme et l’inspiration de ses romans et nouvelles, il les a cherchées dans la littérature chinoise. Laissons-lui la parole: «J’avais lu de vieux romans policiers chinois pour trouver des intrigues pour mes trois premiers récits des enquêtes du juge Ti. (Le Mystère du labyrinthe, Le Squelette sous cloche, Meurtre sur un-bateau-de-fleurs) J’avais découvert, notamment, un manuel de jurisprudence et d’investigation policière du XIIIe siècle, le T’ang-yin pi-shih (Cas comparables sous le poirier)…»
Ses polars, que l’auteur illustre de ses propres vignettes, d’ailleurs fort plaisantes, ne sont pas seulement des récits captivants mais aussi une excellente description des moeurs dans la Chine ancienne.
Les biographes de Robert van Gulik notent tout de même, en passant, ces traits de sa personnalité: «La visin (qu’il) a de la Chine et du Japon est toujours intéressante, mais son approche globale du monde est souvent peu réaliste et naïve; il est et demeure un «spécialiste», mais quel spécialiste!»
A la fin prématurée de son existence, si intensément vécue, alors qu’il se laissait déjà emporter par la maladie, Robert Hans van Gulik abandonnait définitivement le projet de consacrer une autre vaste étude à la mort dans la culture et la tradition chinoises (Thanatos après Eros). Au bas de la dernière page de cette belle biographie, sont donc inscrits ces vers d’une indéfinissable mélancolie autant que d’une grande sérénité: «… Je suis las de la vie, / Je vais somnoler, là-bas, dans les monts du Sud. / Je pars, ne me demande plus comment ni où. / Car partout et toujours s’étirent les nuages blancs …»
Daniel Walther